22 mai 2014 – Force des idées, think tanks et jeux d’influence
Publié le 20 mai 2014 par Bruno Racouchot
De quoi les think tanks sont-ils le nom ? Se révèlent-ils à nous comme des lieux où l’on pense, où l’on fait germer des idées ? Où ne sont-ils en réalité rien d’autre que des officines de manipulation de l’opinion ? En quoi se différencient-ils des cercles, clubs, ateliers, réseaux, observatoires et autres lieux de réflexion et de production de connaissances ? Les définitions des think tanks sont aussi nombreuses qu’incertaines. Et c’est justement le mérite de François-Bernard Huyghe de mettre de l’ordre et du sens dans ce maelström avec un petit livre qui a connu peu d’écho médiatique mais dont l’intérêt est immense pour qui s’intéresse aux jeux d’influence, un petit livre au titre éloquent : Think tanks, quand les idées changent vraiment le monde (Vuibert, 2013, 157 p., 19 €). On ne dira jamais assez à quel point François-Bernard Huyghe, médiologue, docteur en sciences politiques et chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), mène depuis des années un combat d’une rare intelligence dans la sphère de l’influence, s’imposant sans nul doute comme l’un des meilleurs analystes en ce domaine. Il en donne une nouvelle fois la preuve magistrale.
Après avoir étudié ce phénomène initialement américain, il observe comment il s’est adapté à l’Europe et à la France, montrant comment s’insèrent dans son jeu tout à la fois les intellectuels et les médias, les relais d’opinion et autres vecteurs d’influence. Dans un monde nivelé par l’immédiateté et le quantitatif, obsédé par l’égalitarisme et l’indifférenciation, plus que jamais on observe à rebours un besoin de sens et de repères. D’où la soif d’idées, à laquelle sont supposés répondre les think tanks. De fait, observe-t-il, « au moins à moyen terme, les think tanks ont un assez bel avenir. Leur double dimension – production d’idées mais aussi représentation de courants de la société civile – leur garantit un accueil favorable, surtout en un temps où les partis et les intellectuels se défendent comme de beaux diables de faire de l’idéologie et d’appliquer une doctrine. L’air du temps est au soft power, à la quête du consensus, aux stratégies d’attractivité et de narrativité (le fameux storytelling). Et, si la spécialité du think tank est plutôt l’inspiration par en haut, ce n’est pas la forme la moins efficace de l’influence. »
Dans la préface qu’ils ont accordé à l’excellente analyse produite par François-Bernard Huyghe, Alain Juillet et Eric Delbecque cadrent parfaitement l’enjeu. « Les idées mènent le monde : on le sait depuis Platon… Mais à l’heure de l’hypercommunication et de l’hypermédiatisation, les idées conditionnent de la manière la plus radicale qui soit notre réalité, ou disons plutôt les perceptions de la réalité. A la base des normes qui encadrent nos vies, des comportements qui caractérisent notre temps, des réactions collectives qui donnent le ton du climat sociétal, on trouve des concepts, des notions, des représentations presque immédiatement destinés à devenir des slogans, des produits… La société du spectacle et l’économie de la connaissance carburent d’abord aux idées ! » C’est ainsi, ajoutent Alain Juillet et Eric Delbecque, qu’« armes principales du management des perceptions, elles servent à élaborer ou imposer un ordre, une évolution et même des intérêts. Elles les justifient ou parfois dissimulent leurs significations profondes et essentielles. Au sens strict, elles s’imposent comme stratégiques puisqu’elles servent à configurer un rapport de force, à prendre l’avantage sur d’autres acteurs (Etats, entreprises, associations, individus, leaders d’opinion, médias, etc.) ».
L’intérêt de la démonstration de François-Bernard Huyghe réside aussi en sa volonté de réhabiliter le rôle de l’influence. Car, explique-t-il, « le droit de penser pour peser, le privilège de produire les cadres de pensée de ceux qui nous dirigent suppose une éthique de la distanciation et de la vérification, qui devrait bien valoir celle du clerc chercheur et questionneur classique. » En ce sens, renchérissent Alain Juillet et Eric Delbecque, le jeu des stratégies d’influence « demeure un progrès de la démocratie et non le symptôme d’un totalitarisme soft animé par des spins doctors ayant oublié les fondements de leur métier dans une véritable dérive éthique. » Pour en revenir aux sources qui nous sont chères, souvenons-nous de fait que le libre jeu des idées, la maïeutique comme la dialectique et la rhétorique, constituaient les ressorts subtils et puissants de la vie publique des cités grecques antiques…
Bruno Racouchot, Directeur de Communication & Influence
Think Tanks – Quand les idées changent vraiment le monde
Voir le n° de Communication & Influence consacré à François-Bernard Huyghe