26 septembre 2014 – Business et « mercenaires » : les nouvelles perceptions
Publié le 26 septembre 2014 par Bruno Racouchot
La sémantique évolue en même temps que les situations géopolitiques. Deux revues françaises de bonne tenue ont, cet été, ouvert des dossiers sur des thématiques qui d’ordinaire intéressent peu nos concitoyens, mais qui se révèlent cependant emblématiques des nouveaux enjeux. Le très non-conformiste et brillant trimestriel de géopolitique, Conflits, récemment lancé par Pascal Gauchon, a consacré son second numéro au thème Les nouveaux mercenaires, avec une analyse réaliste du rôle que jouent les sociétés militaires privées (SMP). Dans le même temps, Défis, la pertinente revue de l’INHESJ (Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice), sous l’égide de Cyrille Schott et d’Eric Delbecque, se penchait, pour son second numéro elle aussi, sur la question du Business en milieu hostile : la protection des entreprises à l’international. Deux approches différentes, avec des intervenants de grande qualité, pour une même préoccupation : comment défendre nos intérêts sur une scène internationale toujours plus mouvante et violente ? Au contraire des apparences, la question n’est pas que d’ordre technique. Elle intègre des paramètres liés à la perception des situations. En l’occurrence, les mots que l’on emploie, les messages que l’on répercute, les images qui sont perçues ne sont pas innocents. Les stratégies de communication d’influence accompagnent ici nécessairement les actions sur le terrain de ceux qui ont en charge la protection de nos intérêts dans des zones à hauts risques.
Les nouveaux affrontements auxquels nous assistons nous obligent à repenser le sens des mots. « Peut-on réellement parler de ‘nouveaux mercenaires’ ? » interroge Conflits en évoquant les SMP. Le marché de la guerre est devenu d’une immense complexité. Forcément. Puisqu’il accompagne la guerre économique en ce qu’elle a de plus dur. A cet égard, le dossier fort bien fait ouvert par Conflits a l’immense mérite de dédiaboliser certains mots comme « mercenaires » en nous obligeant à nous confronter au réel. Quelles sont les grandes SMP actuelles ? Pourquoi existent-elles ? Quel est l’enjeu juridique – et économique – de leur existence ?… La question qui surgit pour nous autres Européens est révélatrice de notre difficulté à comprendre le monde tel qu’il est. Car, pétri de « belles » idées, nous refusons la réalité de la guerre. Donc le mercenaire est jugé incompatible avec les « valeurs » revendiquées par nos contemporains. Or, comme le remarque Pascal Gauchon, le temps des SMP et des mercenaires n’est pas fini. Car « ils profitent de la mondialisation qui multiplie les points de friction et les risques. Ils bénéficient du décalage entre les proclamations en faveur des droits de l’homme et la réalité des conflits et des intérêts. » Et surtout, insiste-t-il avec justesse, « ils révèlent l’hypocrisie d’un monde qui, se réclamant d’idéaux pacifistes, préfère déléguer la guerre à d’autres. Ils révèlent ce que nous refusons d’être, et ce que nous sommes… »
Cette dimension sémantique n’est pas innocente car elle fait cruellement ressentir l’absence de sens de notre monde – ou du moins son incapacité à appréhender le réel dans sa crue réalité. La question du mercenariat ouvre ici une interrogation d’ordre herméneutique. En ce sens, elle intéresse la perception comme l’influence. Eric Delbecque dans Défis ouvre avec habileté de nouvelles perspectives, autres que la réponse par la force pure. Certes note-t-il, les nouvelles menaces existent bel et bien, et il serait absurde de fermer les yeux devant elles. « Mais l’on peut convertir le regard et choisir de les traiter autrement que par la ‘bunkerisation’. Produire de la sûreté par des démarches d’influence s’inscrivant dans la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) forme l’une des options, essentielles, de cette dynamique innovante de protection des organisations ». Finalement, si nous revenions à la vieille sagesse de l’Europe antique qui voyait dans la subtile alliance de l’action et de la réflexion la clé du succès et le refus de l’hubris, le refus de cette démesure que les Grecs anciens flétrissaient tant ? Ne serait-ce pas là l’une des clés des succès pour les enjeux d’aujourd’hui et de demain ?…
Bruno Racouchot, Directeur de Communication & Influence
Conflits n° 2 – Les nouveaux mercenaires
Défis n° 2 – Business en milieu hostile : la protection des entreprises à l’international