5 avril 2017 – Que reste-t-il de la puissance française ?
Publié le 5 avril 2017 par Bruno Racouchot
Que reste-t-il de la puissance française ? Cette question devrait, en toute logique, apparaître dans l’actualité comme l’un des points-clés de l’actuelle campagne présidentielle. Sans surprise, et malheureusement, il n’en est rien. Fort opportunément, Pascal Gauchon a choisi d’en faire le fil d’Ariane du n°13 de l’excellente revue Conflits qu’il dirige de main de maître et qui vient de sortir en kiosque. Derrière les procès en sorcellerie, guignolades médiatiques et autres faux débats sur des questions subsidiaires pour ne pas dire dérisoires, se profile une question majeure pour le devenir de notre pays : quid de la France face à la mondialisation ? Toutes les études de fond et un tant soit peu sérieuses le prouvent : « les relations de la France et du monde passent au premier plan des préoccupations de l’opinion. Une question éminemment géopolitique », note Pascal Gauchon. Or énoncer cette question, c’est poser implicitement celle du devenir de la puissance française. Qu’en reste-t-il ? Doit-on se contenter d’une nostalgie désuète à son endroit ? Ou, au contraire, saisir la chance que nous fait courir le plus extrême péril – celui de notre possible disparition – pour rebondir et unir nos forces en vue d’une renaissance ?
Ancien ministre des Affaires étrangères et géopoliticien averti, Hubert Védrine ouvre le débat et plaide pour un retour à la Realpolitik. Passionnément amoureux de la France mais lucide sur ses défauts, il note : « La realpolitik consiste à prendre en compte toutes les facettes de la réalité. Il faut pour cela s’abstraire de ce que j’ai appelé l’irrealpolitik. Ce sont toutes les croyances, les convictions, les postures, les réactions instantanées de l’Occident bavard et imbu de sa supériorité dans lesquelles nous baignons. Vous savez, les formules du genre « les-valeurs-qui-sont-les-nôtres ». Une sorte de diplomatiquement correct. Ces postures se sont beaucoup répandues après la chute de l’URSS quand nous avons cru que nous allions vivre dans une « communauté internationale » selon nos conceptions. Mais cela ne marche pas, ou pas encore, parce que le monde n’est pas peuplé que de gentils Européens. Cette irrealpolitik a échoué. » Et Hubert Védrine de constater : « Nous adorons les grandes formules abstraites sans prise avec le réel, nous préférons les théories aux faits. En même temps nous avons longtemps été un pays un peu vantard qui passait son temps à donner des leçons aux autres, et à rêver un peu. Moins maintenant où nous sommes dans un état semi-dépressif, ce qui n’est guère mieux »… C’est alors qu’Hubert Védrine pointe les influences néfastes qui ont contribué à la perte de puissance de notre pays. « Le paradoxe tient à ce que l’influence de la pensée des néoconservateurs en France (des occidentalistes, en fait) s’est accrue sur notre diplomatie au moment même où, avec l’arrivée d’Obama, ils perdaient le pouvoir politique à Washington. L’influence de ces néoconservateurs occidentalistes résiduels a progressé chez nous sous Sarkozy, puis sous Hollande elle est restée forte, ainsi que dans les médias. »
Dans le domaine qui nous intéresse plus particulièrement, à savoir les interrelations existant entre puissance et influence, Frédéric Munier signe, dans ce numéro de Conflits, une analyse très fine des rapports que notre pays entretient avec le soft power, qui complète à merveille l’approche de Pascal Gauchon et Hubert Védrine. « Se demander si la France est l’autre pays du soft power revient à interroger son lien avec les États-Unis. Une chose est frappante en la matière ; les deux pays forment un couple qui a longtemps été équilibré et dont l’union ressemble aujourd’hui à un mariage morganatique, tant l’influence de Paris dans le monde recule en comparaison de celle de Washington. » En fait, si l’on procède à une lecture sérieuse de nos visées en matière de soft power, on s’aperçoit d’une part que notre pouvoir d’influence a reculé en même temps que, sous Sarkozy comme sous Hollande, nous nous alignions sans barguigner et sans vergogne sur les Etats-Unis. Et puis, pour faire bonne mesure, il semblerait que nous ayons une fois de plus un train de retard… Certes, « la France semble avoir compris l’importance de la puissance culturelle qui est l’un de ses grands atouts. Reste à savoir si la douceur pourra payer dans un monde qui s’oriente vers la dureté, de Washington à Pékin, en passant par Moscou. Car, comme Joseph Nye a fini par le reconnaître, le soft power est peu de chose, sans le hard… »
La tribune signée dans ce même numéro par le général Vincent Desportes, qui dresse le constat d’un désastre militaire, complète admirablement cette approche. Et le mot de la fin revient finalement à Gérard Chaliand qui signe dans cette nouvelle édition de Conflits, un entretien au vitriol dont a le secret le meilleur connaisseur français des guérillas et des mouvements insurrectionnels à travers le monde. Plaidant avec son franc-parler pour un retour au réel en matière de politique étrangère, il explique : « une prise de conscience est nécessaire, notamment sur le plan militaire. Trop longtemps, les Européens se sont reposés sur les États-Unis. Or, comment peut-on prétendre être indépendant quand on ne fait même pas l’effort d’assurer sa propre sécurité? Donc, soyons pragmatiques. Le monde entier s’arme et s’entraîne. Les Européens non, restant dans l’illusion de la paix perpétuelle! Le réveil risque d’être douloureux. Il nous incombe ainsi de réhabiliter au plus tôt le discours de puissance. Ne perdons pas de vue que la seule façon de défendre nos valeurs, c’est de détenir la puissance, accompagnée d’une authentique volonté politique qui permette de les faire respecter. » Une charge aussi intelligente que courageuse qui se passe de commentaires…
Bruno Racouchot, Directeur de Communication & Influence
Que reste-t-il de la puissance française ?, Revue Conflits n°13 avril/juin 2017