10 mars 2025 – Analyse du triptyque « compétition – contestation – affrontement » en matière de guerre informationnelle : Nicolas Moinet de nouveau sur les sentiers de la guerre économique

Publié le 10 mars 2025 par Bruno Racouchot

« C’est par la guerre de l’information que débutent les batailles économiques, politiques et militaires. Identifier les acteurs d’une polémique, leur relais, leurs discours, comprendre les vecteurs et les instruments, mais aussi en analyser et en expliciter les enjeux. Tels sont les axes des recherches sur les luttes informationnelles. » Praticien-chercheur en intelligence économique (IE), professeur des universités à l’IAE (Institut d’administration des entreprises) de Poitiers qui abrite le Master IE, première formation universitaire créée dès 1996 sur la technopole du Futuroscope, Nicolas Moinet est docteur et habilité à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communication. Bien connu de nos lecteurs[1] et compagnon de route de longue date de Communication & Influence (où il est intervenu à plusieurs reprises)[2], il a publié à l’automne dernier De la compétition à l’affrontement (VA Editions, novembre 2024), opus qui s’inscrit dans l’exploration des sentiers de la guerre économique qu’il mène depuis de nombreuses années[3].

Ce troisième volet des Sentiers de la guerre économique, s’ouvre sur le rappel du lien existant entre souveraineté et développement de la puissance par l’économie. Pour ce faire, Nicolas Moinet use de la grille d’analyse produite par Christian Harbulot – le fondateur et directeur de l’Ecole guerre économique (EGE) – reposant sur cinq piliers majeurs : la limitation des dépendances, la localisation de l’activité industrielle, la capacité à se projeter sur les marchés extérieurs, l’entrée dans la compétition informationnelle et la lutte contre la prédation économique. Nicolas Moinet agrémente son argumentation de nombreux exemples concrets tirés de son expérience de chercheur de terrain en matière d’IE. Il raconte aussi sur un mode personnel ses rencontres avec de grandes personnalités de l’IE, Christian Harbulot bien sûr, mais aussi Alain Juillet, Michel Volle et tant d’autres… Cependant, c’est dans le champ de recherche qui nous intéresse ici au premier plan, à savoir les questions informationnelles et communicationnelles sous l’angle notamment des opérations d’influence, que Nicolas Moinet nous ouvre des portes. Au premier rangs desquelles celles du CR 451, le Centre de recherche 451 – dont le nom fait référence au roman de Ray Bradbury Fahrenheit 451 – qui se consacre « à la guerre de l’information, épicentre des conflictualités et de la guerre économique », structure qu’il copilote avec Christian Harbulot et Arnaud de Morgny[4].

Problématiques informationnelles de puissance et nouvelles formes de guerre

Refusant les approches en silos qui empêchent une appréhension correcte des réalités, le CR451 s’efforce d’engager des synergies à même de percevoir les mutations à l’œuvre dans le monde et d’engager des actions polymorphes et adaptées. « Il n’est donc plus possible d’étudier de manière séparée les relations internationales, l’économie, la politique, les débats sociétaux, la technologie, les domaines militaires et cognitifs : il faut unir toutes ces thématiques pour pouvoir créer un domaine d’étude dont l’objet central serait les problématiques informationnelles de puissance et les nouvelles formes de guerre. Et de ce point de vue, la nouvelle grille de lecture Compétition – Contestation – Affrontement va grandement nous aider. »

De fait, la compétition constitue l’échelon le plus soft dans la montée en puissance du processus de conflictualité. « À la fois indirecte et couverte, elle ne consiste ni à détruire la cible ni à provoquer sa dislocation, mais à la modéliser. Ses outils sont l’ingénierie sociale et cognitive. La cible n’est ni vaincue ni contrainte, mais des grilles de lecture ou des critères de légitimité étrangers lui sont insensiblement inoculés. Cette compétition n’est donc pas synonyme de simple concurrence, mais entre bien dans le champ de la guerre économique systémique que Christian Harbulot définit comme « un mode de domination qui évite de recourir à l’usage de la puissance militaire pour imposer une suprématie durable. Il ne s’agit plus de soumettre l’autre par la force, mais de le rendre dépendant par la technologie ». De ce point de vue, la politique d’influence des États-Unis peut être élevée au rang de modèle. Les Chinois l’ont d’ailleurs bien compris et n’ont pas laissé les grands leaders technologiques américains les encercler cognitivement et ont développé leurs propres champions. L’Union européenne aura, de ce point de vue, fait preuve d’une naïveté confondante face à des manœuvres d’encerclement remarquables. »

De la contestation à l’affrontement

Vient ensuite le stade de la contestation, « domaine des guerres hybrides. Cet état est celui des actes indirects et souterrains. L’adversaire est un interlocuteur dont on ne cherche pas la destruction, mais la dislocation à courte ou moyenne échéance. Il s’agit donc de créer des dépendances ou de les renforcer. Dès lors, on assiste à un fort accroissement des attaques informationnelles. La stratégie de la Russie vis-à-vis de la France en Afrique en est une illustration. » Et Nicolas Moinet d’étayer son discours par l’exemple de la manipulation du charnier du camp de Gossi au Mali, « consistant à incriminer l’armée française dans une mise en scène macabre… qui sera filmée par un drone français, permettant ainsi de faire échouer la manœuvre. Si le grossier montage a ainsi pu être démontré, rien ne dit néanmoins que l’opération de désinformation n’ait pas eu tout de même quelque effet sur les populations locales. Car dans la guerre de l’information, la prime revient à l’attaquant. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose… »

Enfin vient le troisième stade du triptyque, à savoir l’affrontement. Nicolas Moinet rappelle ce que disait Sun Tzu au VI° siècle avant notre ère : « Être victorieux dans tous les combats n’est pas le fin du fin ; soumettre l’ennemi sans croiser le fer, voilà le fin du fin. » De fait, note Nicolas Moinet, « l’affrontement est limité dans le temps, car il apporte une réponse cinétique extrême à un litige grave. La division s’y fait suivant la dualité amis/ennemis. L’affrontement donne un vainqueur à la bataille, mais à quel prix ? Et est-il vraiment sûr d’avoir gagné la guerre ? Dans le champ économique, c’est encore plus évident en raison des interdépendances commerciales, des marchés financiers ou des chaines logistiques. La guerre en Ukraine le démontre particulièrement dans le secteur de l’énergie. Les états de compétition et de contestation, tout en mettant en œuvre des stratégies offensives comme la prédation ou la déstabilisation, tenteront néanmoins d’éviter l’escalade jusqu’à l’affrontement. »

Clair, précis, très pédagogique grâce aux kyrielles d’exemples tirés de son expérience de praticien et de chercheur, nous faisant connaître des dizaines d’acteurs de l’IE[5] ayant chacun apporté leur pierre à l’édifice, Nicolas Moinet termine son troisième ouvrage dédié à explorer ces Sentiers de la guerre économique par une exhortation : plus que jamais, il nous faut réapprendre à combattre collectivement. Et cette exigence repose sur un principe : « il ne peut y avoir de combat collectif pour notre pays si nous n’affirmons pas notre indépendance dans les faits et dans les esprits. » Dont acte.

Pour se procurer l’ouvrage : https://www.va-editions.fr/de-la-competition-a-l-affrontement-c2x41321779

[1] Réserviste, Nicolas Moinet est également diplômé de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN).

[2] N° 116 – Novembre 2020 : Soft PowerS, ces méthodes-clés de domination dans la guerre économique systémique : le décryptage de Nicolas Moinethttp://www.comes-communication.com/files/newsletter/Communication&Influence_novembre_2020_Nicolas_Moinet.pdf

N° 112 – Juin 2020 : L’Ecole de pensée sur la guerre économique face aux affrontements informationnels et communicationnelshttp://www.comes-communication.com/files/newsletter/Communication&Influence_juin_2020_Ecole_de_Pensee_Guerre_Economique.pdf

N° 95 – Juillet 2018 : Les hommes de l’ombre de la guerre économique, entre puissance et influence : le décryptage de Nicolas Moinethttp://www.comes-communication.com/files/newsletter/Communication&Influence_juillet_2018_Nicolas_Moinet.pdf

[3] Voir notamment ses livres publiés chez VA Editions https://www.va-editions.fr/nicolas-moinet-c102x4243264

[4] www.cr451.fr

[5] D’où, comme il le précise, ces « portraits de ces femmes et de ces hommes qui œuvrent ou manœuvrent dans l’antichambre de la guerre économique : chefs d’entreprise, universitaires, journalistes d’investigation, fonctionnaires d’État, étudiants en intelligence économique, patriotes spécialisés dans la guerre de l’information… »

 

  • Invités :

    Patricia Adam
    Christophe Assens
    Alain Bauer
    Jérôme Barrier
    Philippe Baumard
    Alain de Benoist
    Henri Bentégeat
    Jean-François Bianchi
    Philippe Bilger
    Pierre Boisserie
    Philippe Bornet
    Thierry Bouzard
    Patrick Buisson
    Charles-Edouard Bouée
    Eric Branca
    Rony Brauman
    Pierre Buhler
    José Bustani
    Bernard Carayon
    Jean-Yves Carfantan
    Rodolphe Cart
    Yann Caspar
    Hugues Cazenave
    Gérard Chaliand
    Raphaël Chauvancy
    Edouard Chanot
    Yves Christen
    Jean-François Colosimo
    Augustin de Colnet
    André-Paul Comor
    Pierre Conesa
    Christian Coutenceau
    Dominique David
    Eric Delbecque
    Marie-Daniel le Demélas
    Eric Denécé
    Général Vincent Desportes
    Slobodan Despot
    Hadrien Desuin
    Nicolas Dolo
    Daniel Dory
    Henri Dou
    Gérard-François Dumont
    Bernard Esambert
    Pierre Fayard
    Jean-François Fiorina
    Michel Foucher
    Jérôme Fourquet
    Ludovic François
    Michel Foucher
    Franck Galland
    Marie-France Garaud
    Valérie Gaschignard
    Jean-François Gayraud
    Pascal Gauchon
    Thibaud Gibelin
    Sylvain Gouguenheim
    Michel Goya
    Xavier Guilhou
    Christian Harbulot
    Jean-Vincent Holeindre
    Jean-Marc Huissoud
    François-Bernard Huyghe
    Alain Juillet
    Hervé Juvin
    Thibault Kerlirzin
    Olivier Kempf
    Aude de Kerros
    Frédéric Lacave
    Yves Lacoste
    Guy-Alexandre Le Roux
    Alexandre Lanzalavi
    Lucie Laurent
    Patrice Lefort-Lavauzelle
    Erik L’Homme
    Gilles Lipovetsky
    Pascal Lorot
    Florian Louis
    Mathieu Lours
    Didier Lucas
    Jean de Maillard
    Olivier de Maison Rouge
    Thierry Marx
    Michel Maffesoli
    Christian Marcon
    Olivier Marleix
    Guy Massé
    Jean-Dominique Merchet
    Flavio Werneck Meneguelli
    Bruno Mignot
    Nicolas Moinet
    Thibault de Montbrial
    Thierry de Montbrial
    Arnaud de Morgny
    MSIE 36
    Martin Motte
    Jean-Baptiste Noé
    Laurent Obertone
    Rémy Pautrat
    Jean-Paul Picaper
    Cynthia Picart
    Frédéric Pichon
    Frédéric Pierucci
    Frédéric Pons
    Bruno Racouchot
    Mériadec Raffray
    Son Excellence l’Ambassadeur Octavio Rainho
    Xavier Raufer
    Claude Revel
    Ingrid Riocreux
    Général Christophe de Saint Chamas
    Frédéric de Saint-Sernin
    Claude de Saint Vincent
    Philippe Schleiter
    David Simonnet
    Carlos-Ivan Simonsen
    François Soulard
    Guy Teissier
    Nicolas Tenzer
    Jean-Louis Tertian
    Hervé Théry
    Henri Thomé
    Denis Tillinac
    Michel Tsimaratos
    Roger Vandomme
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